Matin : Résistance et droits de l’homme
Présidente de séance : Mônica Raisa Schpun, EHESS

9h00 – Maud Chirio, Université de Marne-la-Vallée & Mariana Joffily, Université de l’État de Santa Catarina : « Entre représentation de la violence d’État et espoir de justice : les listes de tortionnaires établies par les victimes de la répression (1978-1985) »

9h30 – Janaína Teles, Université de São Paulo : « Les dénonciations de tortures et de tortionnaires dans les prisons politiques brésiliennes »

10h00 – Joana Maria Pedro, Université fédérale de Santa Catarina : « La question du genre dans la clandestinité au Brésil (1960-1980) : usages et mémoires »

10h30 – Bryan Pitts, Duke University : « Je veux élire mon président » : mobilisation populaire, classe politique et chute du régime militaire (1984-1985) »

11h00 – Débat

12h30 – Déjeuner

Après-midi : Mémoire, héritage et perspectives comparées
Président de séance : Jean Hébrard, EHESS

14h30 – James N. Green, Brown University : « Les États-Unis, le Brésil et le cône sud : pourquoi la vague de dictatures ? »

15h00 – Edgardo Manero, CNRS/EHESS : « Les nationalismes argentins face au régime militaire brésilien. Voisinage territorial, conflit idéologique et perception de la menace. Une question latino-américaine »

15h30 – Marcelo Torelly, Université de Brasília/Université d’Oxford : « Le Droit et les héritages autoritaires dans le cône sud : des réponses nationales à la norme globale de la responsabilité individuelle »

16h00 – Carla Somone Rodeghero, Université fédérale du Rio Grande do Sul : « L’amnistie et ses significations, hier et aujourd’hui »

16h30 – Nina Schneider, Université de Konstanz : « Ligne dure » et « modérés » : la recherche de nouvelles catégories pour les criminels et les collaborateurs, et ses conséquences »

17h00 – Débat

18h30 – Clôture de la journée

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9h00 – Maud Chirio, Université de Marne-la-Vallée & Mariana Joffily, Université de l’État de Santa Catarina : « Entre représentation de la violence d’État et espoir de justice : les listes de tortionnaires établies par les victimes de la répression (1978-1985) »
Cette communication a pour objet les listes d’agents de la répression accusés d’avoir pratiqué, ou de s’être rendus complices, d’actes de torture, pendant la dictature militaire brésilienne. Elle analyse leur processus d’élaboration, leurs auteurs, leurs limites et caractéristiques : régions concernées par ces pratiques, périodes, formes de divulgation des listes, organes répressifs impliqués et répercussion auprès de l’opinion publique. Nous nous proposons à la fois d’étudier les formes de représentation de la violence d’État et de la répression politique dont ces listes témoignent et qu’elles ont contribué à forger. Nous souhaitons aussi démontrer qu’il s’agit d’une source précieuse pour la compréhension d’un aspect peu connu de l’appareil répressif brésilien : sa composition humaine.

9h30 – Janaína Teles, Université de São Paulo : « Les dénonciations de tortures et de tortionnaires dans les prisons politiques brésiliennes »
L’objectif de cette communication est de caractériser le rôle des persécutés politiques et de leurs réseaux de solidarité pendant la période dictatoriale au Brésil. Elle montrera d’abord comment l’appareil répressif était structuré. Elle examinera ensuite la manière dont les gauches et les mouvements d’opposition au régime se sont servis des lois d’exception pour faire connaître les crimes de la dictature, dénoncer ses mandataires et ses tortionnaires, diminuant ainsi la souffrance de militants politiques et de leurs familles.

10h00 – Joana Maria Pedro, Université fédérale de Santa Catarina : « La question du genre dans la clandestinité au Brésil (1960-1980) : usages et mémoires »
La période de 1960 à 1980 au Brésil est connue comme celle de la dictature militaire mais c’est aussi celle de la diffusion internationale et nationale du féminisme de « deuxième vague » qui a fortement remis en cause les hiérarchies entre les hommes et les femmes. Ces deux événements se sont croisés dans les mouvements de résistance, qu’ils soient armés ou non, touchant le vécu des femmes et des hommes qui passaient dans la clandestinité. C’est au sein de cette double expérience que je souhaite examiner les « usages du genre ». La vie dans la clandestinité a-t-elle contribué à des reculs dans les luttes pour l’égalité entre les hommes et les femmes ? Les avancées permises par la « deuxième vague » du féminisme, visibles notamment par la présence de femmes dans les mouvements de résistance, ont-elles dû être abandonnées dans la vie clandestine ? Jusqu’à quel point les usages des normes de genre ont-ils contribué à garantir le camouflage des personnes se trouvant dans la clandestinité ?

10h30 – Bryan Pitts, Duke University : « Je veux élire mon président » : mobilisation populaire, classe politique et chute du régime militaire (1984-1985) »
Bien que le mouvement Diretas Já de 1984 en soit venu à symboliser la chute de la dictature militaire au Brésil, la fin du régime fut, en fin de compte, le fait non seulement de la mobilisation populaire, mais aussi de la classe politique civile, dans la mesure où les hommes politiques alliés du régime rejoignirent l’opposition lors du vote du parlement en 1985. Cette communication défend l’idée que la façon dont les hommes politiques résolurent la succession présidentielle ne constitue pas un simple « pacte des élites » non-démocratique. Au contraire, les propos et les actions des hommes politiques reflètent les changements majeurs survenus au sein de leur culture politique sous le régime militaire. Diretas Já conduisit à une mobilisation d’une ampleur telle qu’elle aurait effrayé la classe politique brésilienne deux décennies plus tôt ; pourtant, une part importante du groupe appuya la mobilisation. Une fois devenus sensibles au pouvoir du peuple dans la rue, même les hommes politiques qui ne soutenaient pas Diretas Já abandonnèrent le candidat impopulaire approuvé par les militaires pour apporter leur soutien à l’opposition.

Après-midi : Mémoire, héritage et perspectives comparées

14h30 – James N. Green, Brown University : « Les États-Unis, le Brésil et le cône sud : pourquoi la vague de dictatures ? »
Dans cette communication, j’aborderai le coup d’État militaire de 1964 dans le contexte de la Guerre froide. Je souhaite montrer comment certains diplomates américains clés, comme l’ambassadeur Lincoln Gordon, ont mal interprété la situation sociopolitique au Brésil ayant ainsi choisi d’induire en erreur les décideurs politiques à Washington en soutenant le renversement du gouvernement Goulart et la prise du pouvoir par les militaires. Je mettrai ensuite les décisions politiques américaines vis-à-vis du Brésil en relation avec des considérations géopolitiques plus larges des États-Unis dans le cône sud. Celles-ci sont à l’origine d’actions aussi bien ouvertes que discrètes visant un gouvernement Allende déstabilisé puis renversé en 1973 mais aussi, plus généralement, contribuant au soutien des régimes autoritaires présents partout dans la région.

15h00 – Edgardo Manero, CNRS/EHESS : « Les nationalismes argentins face au régime militaire brésilien. Voisinage territorial, conflit idéologique et perception de la menace. Une question latino-américaine »
Le Brésil et l’Argentine ont constitué une opposition fondamentale de toute l’histoire de l’Amérique latine en matière de relations internationales. Ils ont développé des propositions hégémoniques qui, au XXe siècle, sous l’influence des conceptions géopolitiques, ont renforcé les rivalités traditionnelles. Héritières directes des conflits hispano-lusitaniens dans la région du Plata, les relations ont été structurées sur la méfiance mutuelle et la concurrence pour l’établissement d’une hégémonie dans le cône sud, notamment à partir des années 1940 jusqu’aux années 1980. Si, façonné par le(s) nationalisme(s), l’antagonisme a mené les politiques extérieures à se référer fondamentalement l’une à l’autre, dans le cas argentin, la conceptualisation du Brésil est pensée dans le contexte d’un rapport triangulaire. L’attitude à l’égard de ce pays est en relation directe avec celle du Brésil envers la puissance hégémonique et avec le caractère ou le type de lien de l’Argentine avec les États-Unis. Dans ce cadre, le processus ouvert au Brésil en 1964 constitue un point d’inflexion qui, non sans ambigüités, consolide le Brésil au titre de fixation stratégique pour des secteurs très hétérogènes. Si les représentations stratégiques qui accompagnent les courants divers et antagoniques du nationalisme argentin pendant la Guerre froide ont entraîné, suivant des logiques très différentes, une transformation importante par rapport à l’application du paradigme de l’interaction stratégique avec l’État limitrophe, la logique du voisinage territorial menaçant n’a pas été modifiée, continuant à conditionner les relations non seulement bilatérales.

15h30 – Marcelo Torelly, Université de Brasília/Université d’Oxford : « Le Droit et les héritages autoritaires dans le cône sud : des réponses nationales à la norme globale de la responsabilité individuelle »
Dans un contexte comparatif, cette communication vise à mettre en relation l’Argentine, le Brésil et le Chili pour montrer comment chacun de ces pays a répondu aux jugements internationaux en faveur de la responsabilisation des crimes d’État. Elle montrera ensuite comment ces réponses sont liées aux perceptions de continuité/discontinuité qui marquent les lectures faites par les pouvoirs judiciaires locaux sur l’autoritarisme. Il s’agit donc d’une contribution à la compréhension des manières dont le droit lit l’histoire quand il juge le passé, en partant de la relation entre le droit national et le droit régional (Cour interaméricaine).

16h00 – Carla Simone Rodeghero, Université fédérale du Rio Grande do Sul : « L’amnistie et ses significations, hier et aujourd’hui »
L’intervention portera sur l’amnistie de 1979, mesure qui a occupé une place centrale dans le processus de transition vers la démocratie et qui, encore aujourd’hui, est à l’origine des entraves aux poursuites judiciaires des acteurs de la répression. J’examinerai les relations entre amnistie et oubli, notamment les significations que les différentes personnes mobilisées dans les campagnes pour l’amnistie ont attribuées à cette mesure. J’analyserai aussi les raisons ayant amené le gouvernement à inclure les « crimes connexes » dans la loi d’amnistie. Je considérerai enfin, dans une perspective comparatiste, l’amnistie de 1979 et d’autres amnisties qui l’ont précédée dans l’histoire du Brésil républicain.

16h30 – Nina Schneider, Université de Konstanz : « Ligne dure » et « modérés » : la recherche de nouvelles catégories pour les criminels et les collaborateurs, et ses conséquences »
Cette communication vise à problématiser les catégories existantes pour désigner les membres du régime militaire et ceux qui le soutenaient (notamment « ligne dure » et « modérés ») afin de contribuer à la construction d’un éventail plus nuancé. Pour démontrer les insuffisances de ces concepts, j’envisage des exemples concrets avec des personnalités comme Otávio Costa, Jarbas Passarinho, Mourão Filho, Emílio G. Médici et João Burnier. J’examine aussi des travaux récents sur la collaboration pendant la dictature brésilienne. Je discute enfin les implications politiques et éthiques que l’emploi de catégories plus différenciées pourrait avoir pour la lutte en faveur de la mémoire et de la justice. Je n’oublie pas le rôle des chercheurs : une vision plus nuancée – riche de différents niveaux de collaboration – affaiblit-elle forcément la lutte pour la mémoire et la justice ? Devenons-nous des « révisionnistes » si on adopte une vision plus complexe ? Peut-on séparer la recherche universitaire du contexte de lutte pour la mémoire ?